Par un arrêt récent, la Cour de cassation vient préciser qu’il ne suffit pas qu’une construction illégale n’ait pas été autorisée par l’assemblée générale des copropriétaires pour être démolie, encore faut-il qu’elle porte gravement atteinte aux parties communes et privatives du complexe immobilier.
Les faits se déroulent au sein d’un complexe immobilier nommé l’Orée du bois. Les propriétaires des parcelles et la SCI A. Strenna, titulaire d’un permis de construire, ont, dans le cadre de ce projet immobilier à construire, établi un règlement de copropriété et l’état descriptif de division de l’ensemble immobilier.
Le projet immobilier portait sur un ensemble de dix villas et un immeuble de onze appartements, dit bâtiment A, ainsi que sur un lot n° 58 transitoire, réservé à des constructions futures, rappelé dans le règlement de copropriété.
L’ensemble des copropriétaires s’est constitué en un syndicat de copropriétaires dénommé le syndicat de l’ensemble immobilier de l’Orée du bois, avec possibilité de constitution d’un syndicat secondaire par les copropriétaires de l’un des bâtiments de l’ensemble immobilier. La construction des villas et du bâtiment A est réalisée sans encombre en 1990.
En 2009, la SCI A. Strenna obtient un permis de construire modificatif pour six bâtiments sur le lot transitoire, permis transféré à la SCCV Anna Lesia le 6 juillet 2011. Cette dernière acquiert le lot transitoire le 13 juin 2013.
En 2013, un état descriptif de division de ce lot transitoire est établi, portant suppression dudit lot et créations de nouveaux lots dont certains ont été vendus en l’état futur d’achèvement. C’est ainsi que sont édifiés six immeubles collectifs sur ce lot transitoire.
Or, l’état descriptif de division initial intégré au règlement de copropriété prévoyait la construction de six villas et de trois bâtiments, ce qui, en l’espèce, ne correspond absolument pas aux six immeubles finalement construits.
Par la suite, il apparaît en outre que cet état descriptif n’a pas fait l’objet d’une autorisation préalable par l’assemblée générale des copropriétaires, de sorte que le syndicat secondaire des copropriétaires et plusieurs copropriétaires assignent en démolition des constructions irrégulièrement édifiées :
- la société SCCV Anna Lesia, propriétaire du lot transitoire ;
- divers copropriétaires des lots issus de ce lot transitoire ;
- et le syndicat principal des copropriétaires de l’ensemble immobilier l’Orée du bois.
Le tribunal de grande instance de Bastia rend une décision le 22 septembre 2015, condamnant notamment la propriétaire du lot transitoire à la démolition des constructions illégales. Appel est interjeté.
La position de la cour d’appel de Bastia
La cour d’appel de Bastia, dans son arrêt rendu le 18 avril 2018, vient confirmer la position du jugement de 1re instance du 22 septembre 2015 rendu par le tribunal de grande instance de Bastia, en ce qu’il a notamment condamné la SCCV Anna Lesia à la démolition des constructions illégalement implantées.
Pour la cour d’appel, il résulte clairement du règlement de copropriété que l’ensemble immobilier était divisé en lots selon la désignation de l’état descriptif de division et que, s’agissant du dernier bloc, si les constructions ne sont pas encore déterminées dans le règlement de copropriété, l’état descriptif de division en précisait bien la nature et la consistance.
De plus, ce règlement de copropriété s’appliquait bien aux trois blocs décrits précisément, à savoir : celui des dix villas, celui de l’immeuble de deux étages et de onze appartements, et celui des constructions futures.
Par ailleurs, le règlement de copropriété était opposable à l’ensemble des copropriétaires, et décrivait ainsi précisément le droit d’édification consenti sur le lot transitoire.
Or, l’état descriptif de division initial intégré au règlement de copropriété prévoyait la construction de six villas et de trois bâtiments, sauf que six immeubles collectifs ont finalement été construits sur le lot transitoire, selon l’état descriptif de division modificatif en juin 2013.
C’est pourquoi, la cour d’appel de Bastia a considéré que la construction de ces six immeubles est bien illégale puisqu’elle a été réalisée sans avoir été au préalable autorisée par l’assemblée générale des copropriétaires, et qu’elle vient en contradiction avec l’état descriptif initial contenu dans le règlement de copropriété.
Pour confirmer le jugement de première instance et condamner la société SCCV Anna Lesia à la démolition de ces six immeubles, la cour d’appel de Bastia écarte notamment l’argument de l’un des copropriétaires selon lequel les immeubles construits s’intégreraient parfaitement dans l’ensemble immobilier et ne changeraient pas la destination de l’immeuble.
Mais la cour d’appel n’en a que faire et ordonne la démolition des constructions considérées comme illégales.
La position de la Cour de cassation
La 3e chambre de la Cour de cassation, dans son arrêt du 12 septembre 2019, vient casser partiellement cet arrêt, en ce qu’il a condamné la société propriétaire du lot transitoire à la démolition des 6 immeubles litigieux.
Elle considère en effet que la cour d’appel aurait dû rechercher s’il existait une atteinte grave portée aux parties communes et privatives pour justifier de la démolition des constructions litigieuses, au-delà du simple respect d’obtention d’une autorisation préalable de l’assemblée générale.
Cet arrêt a le mérite de s’y attarder puisqu’il contrevient au principe général selon lequel toute construction par un copropriétaire qui n’aurait pas été autorisée par la copropriété est considérée comme illégale ou irrégulière.
Ce principe est édicté dans les articles 9, 25 et 26 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965. En effet, aux termes de l’article 9 alinéa 1 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965, il est prévu que : « Chaque copropriétaire dispose des parties privatives comprises dans son lot ; il use et jouit librement des parties privatives et des parties communes sous la condition de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires ni à la destination de l’immeuble. »
Le principe consiste à obtenir une autorisation préalable de l’assemblée générale pour être autorisé à réaliser des travaux. Cela permet notamment de vérifier que les travaux sont bien conformes à la destination de l’immeuble et ne portent pas atteinte aux droits des autres copropriétaires.
C’est notamment l’article 25 de la loi de 1965 qui le prévoit. Cet article est d’ordre public et les parties ne peuvent pas y déroger. L’autorisation d’effectuer ces travaux ne peut être accordée que par une décision expresse de l’assemblée générale. Ainsi, toute autre forme d’agrément serait dépourvue d’effet. Il a pu être jugé notamment qu’une autorisation du syndic n’était pas valable.
La sanction du non-respect de cette autorisation préalable consiste en général en un rétablissement des lieux en leur état antérieur, même si les travaux ont été exécutés pour rendre l’immeuble conforme au règlement de copropriété (Cass. 3e civ, 2 mars 2005 : JurisData n° 2005-027250).
Un syndicat des copropriétaires peut donc demander la démolition des travaux qui ont été exécutés sans avoir obtenu l’autorisation préalable de l’assemblée générale.
Or, en l’espèce, la Cour de cassation fait fi de cette absence d’autorisation préalable de l’assemblée générale et considère qu’il doit être rapporté la preuve d’une atteinte grave aux parties communes et privatives pour justifier d’une telle demande.
Pour justifier sa position, la Cour de cassation précise que, d’une part, et en l’espèce, il n’était pas nécessaire de solliciter l’autorisation de la copropriété pour construire sur le lot transitoire dès lors que le règlement de copropriété autorisait l’édification de tous bâtiments et construction.
En outre, le projet initial de l’état descriptif ne précisait aucune superficie et renvoyait le projet à un permis de construire futur. Rien n’était donc réellement déterminé dans l’état descriptif portant sur le lot transitoire puisqu’aucune information précise sur les caractéristiques des constructions à édifier n’avait été donnée.
Ainsi, en ordonnant la démolition des constructions litigieuses, la cour d’appel a violé notamment les articles 1er, 2, 3, 8 et 9 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 puisqu’elle n’a apporté aucun élément sur le fait de savoir si la démolition de l’ensemble des bâtiments édifiés par la SCCV Anna Lesia était nécessaire pour rétablir les copropriétaires et la copropriété dans leurs droits.
Ainsi, la cour d’appel ne vient absolument pas démontrer qu’il y a effectivement une atteinte grave portée aux parties privatives et communes des copropriétaires et de la copropriété. La Cour de cassation a donc cassé l’arrêt de la cour d’appel de Bastia pour défaut de base légale.
Conclusion
En conclusion, et désormais, l’assignation en démolition de constructions illégales, car non autorisées par l’assemblée générale des copropriétaires, ne peut être effective que s’il existe une atteinte portée aux parties communes et privatives et que cette atteinte est d’une gravité telle qu’elle justifie la demande en démolition.