De la soumission de l’architecte au régime de la responsabilité décennale

Dans cet arrêt, la Cour de cassation affirme que l’architecte est assimilé à un constructeur de l’ouvrage au sens des articles 1792 et suivants du Code civil et se retrouve donc soumis au régime de responsabilité décennale.

En l’espèce, une société civile immobilière (SCI) a fait construire sous sa maîtrise d’ouvrage un garage sur un terrain dont elle a elle-même réalisé le remblai. La SCI confie la conception et l’exécution des travaux à différents intervenants. Constatant un soulèvement du sol et l’apparition de fissures sur le dallage, la SCI a assigné, après expertise judiciaire, les différents constructeurs afin d’obtenir réparation des désordres.

L’architecte, qui n’a été missionné qu’au titre de l’établissement et du dépôt de la demande de permis de construire, s’est vu condamné sur le fondement décennal in solidum (responsabilité collective), avec l’auteur des études de fondations et le maître d’œuvre, à indemniser le maître d’ouvrage.

Dans le cadre de son pourvoi en cassation, l’architecte reproche à la cour d’appel de ne pas avoir apprécié sa responsabilité dans les limites de la mission qui lui avait été confiée, à savoir l’établissement d’un dossier de permis de construire. Selon lui, sa prestation, réduite à l’établissement de ce dossier, ne lui imposait pas de réaliser des travaux de reconnaissance des sols, ni d’attirer l’attention du maître d’ouvrage sur la nécessité d’en réaliser.

Au surplus, l’architecte soutient que les désordres litigieux étaient dus à la présence d’un remblai gonflant inapproprié que le maître d’ouvrage avait personnellement posé postérieurement à son intervention, de sorte qu’il ne pouvait être déclaré responsable à ce titre.

La position de la cour d’appel*

La cour d’appel de Metz a retenu que la responsabilité civile décennale de l’architecte était engagée. Elle l’a condamné in solidum, avec le maître d’œuvre et l’expert en fondation, à payer à la SCI la somme de 625 000 €, retenant ainsi une quote-part à 25 %. Alors que l’architecte ne s’est vu confier que l’établissement et le dépôt de la demande de permis de construire, la cour d’appel a estimé qu’il était tenu de proposer un projet réalisable, tenant compte des contraintes du sol. Aucune cause d’exonération de sa responsabilité n’était envisageable.

En condamnant l’architecte au même titre qu’un constructeur au sens de l’article 1792 et suivant du Code civil, elle va ainsi au-delà de sa mission PC (permis de constuire) et vise la viabilité du projet de construction dans son ensemble.

La position de la Cour de cassation

Par cet arrêt, la 3e chambre civile de la Cour de cassation rejette le pourvoi en cassation de l’architecte et confirme le raisonnement de la cour d’appel. Ainsi, en sa qualité d’auteur du projet architectural et des documents du permis de construire, l’architecte a l’obligation de proposer un projet viable.

La Cour de cassation prend en compte le fait que :

  • l’architecte est l’auteur du projet architectural ;
  • l’architecte est chargé d’établir les documents du permis de construire ;
  • il est donc tenu de proposer un projet réalisable, ce qui signifie qu’il doit aussi tenir compte des contraintes du sol.

La Cour de cassation s’aligne sur l’argumentation de la cour d’appel, estimant que la mauvaise qualité des remblais était la cause exclusive des désordres compromettant la solidité de l’ouvrage.

Ainsi, cet arrêt donne à réfléchir sur la notion d’imputabilité vis-à-vis de la mission permis de construire de l’architecte, qui doit aussi prendre en compte la contrainte des sols et la conformité architecturale de la réalisation de l’ouvrage qu’il a conçu.

Notons que la Cour de cassation n’a fait que réaffirmer sa position sur le sujet, puisque dans un arrêt rendu le 25 février 1998, elle avait précisé que « l’architecte, chargé de la conception d’un projet, et de l’établissement des plans du permis de construire, est tenu à un devoir de conseil envers le maître de l’ouvrage, et doit concevoir un projet réalisable, qui tient compte des contraintes du sol » (Civ. 3e, 25 février 1998, n° 96-10.598).

Projet réalisable

L’architecte, dont la mission est d’obtenir un permis de construire, doit également s’assurer que le projet est réalisable en tenant compte des contraintes du sol, sans quoi sa responsabilité décennale peut être engagée.

Cette jurisprudence est, dans son ensemble, assez sévère envers les architectes dans la mesure où elle vient leur faire supporter une coresponsabilité décennale avec le maître d’œuvre, pour ne pas avoir pris en compte la contrainte des sols, alors même qu’un prestataire spécialement missionné pour l’étude des fondations avait été mandaté en l’espèce.

Toutefois, cet arrêt rappelle que la mission de l’architecte va bien au-delà du seul établissement du projet architectural, objet de la demande de permis de construire. Elle ne peut ainsi s’arrêter au dépôt de la demande de permis de construire mais doit prendre en compte la conformité architecturale de la réalisation du projet. En tant qu’auteur du projet architectural, il appartient à l’architecte de proposer un projet réalisable.

Cass. 3e civ. 21 novembre 2019, n° 16-23.509.FS-P+B+I-rejet

* arrêt de la première chambre de la cour d’appel de Metz, 12 mai 2016

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