Vefa : les multi-interruptions du delai de forclusion et leur computation

La Cour de cassation se prononce sur la computation du délai de forclusion dans le cas d’une assignation tardive du vendeur en l’état futur d’achèvement par l’acquéreur, lorsque se produisent plusieurs interruptions du délai de forclusion. Par cet arrêt, elle rappelle une fois de plus que les assignations en référé viennent interrompre le cours du délai de forclusion prévu à l’article 1648 du Code civil, en matière de vente en l’état futur d’achèvement et d’action en responsabilité pour vices et non-conformités apparents.
Les faits

Une société civile immobilière (ci-après « la SCI ») vend en l’état futur d’achèvement une maison d’habitation à M. et Mme P., dont la livraison était prévue au plus tard pour la fin du premier trimestre 2007.

Rappelons tout d’abord que, selon l’article 1601-3 du Code civil, la vente en l’état futur d’achèvement (Vefa) est le contrat par lequel le vendeur transfère immédiatement à l’acquéreur ses droits sur le sol ainsi que la propriété des constructions existantes.

Les ouvrages à venir deviennent la propriété de l’acquéreur au fur et à mesure de leur exécution; l’acquéreur est tenu d’en payer le prix à mesure de l’avancement des travaux. Le vendeur conserve les pouvoirs de maître de l’ouvrage jusqu’à la réception des travaux.

En l’espèce, la livraison interviendra avec retard et réserves le 14 décembre 2007. Sans surprise, les acquéreurs ont assigné en référé le vendeur dans le délai de l’article 1648 alinéa 2 du Code civil pour les vices et non-conformités apparents, article qui prévoit notamment que :

« Dans le cas prévu par l’article 1642-1, l’action doit être introduite, à peine de forclusion, dans l’année qui suit la date à laquelle le vendeur peut être déchargé des vices ou des défauts de conformité apparents. »

A la suite de la première assignation, une ordonnance de référé est rendue le 11 mars 2008 condamnant sous astreinte la SCI à lever les réserves qui figurent au procès-verbal de ivraison. Puis, une deuxième assignation est délivrée par les acquéreurs à la SCI vendeuse, en référé-expertise cette fois.

Par ordonnance du 3 mars 2009, le juge des référés a ordonné une expertise afin de déterminer si les réserves avaient été levées. L’expert a déposé son rapport le 10 février 2010, et Monsieur et Mme P. ont fini par assigner le 15 juillet 2011 la SCI afin d’obtenir réparation au titre des réserves non-levées et du retard de livraison.

Le 11 mars 2013, la SCI a appelé en garantie plusieurs sociétés intervenues dans la construction de la maison, dont la société architecte. Or, la société architecte opposera aux époux P. la forclusion de leur action sur le fond en application de l’article 1648 du Code civil.

Tant le tribunal de grande instance de Marseille que la cour d’appel d’Aix-en-Provence, saisie le 13 juillet 2016 par la société architecte, rejetteront la fin de non-recevoir tirée de la forclusion invoquée, considérant tous deux que l’action des acquéreurs n’était pas forclose.

Mais la Cour de cassation en décidera autrement et viendra casser l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, venant ainsi confirmer les nouvelles dispositions applicables en matière de prescription depuis la réforme de 2008.

La position de la cour d’appel d’Aix-enProvence

Pour rejeter la fin de non-recevoir tirée de la forclusion invoquée par la société architecte et condamner les diverses sociétés à payer des indemnités au couple, la cour d’appel d’Aix- en-Provence a retenu que les droits constatés par une décision de justice se prescrivent par le délai de dix ans à compter de celle-ci.

La cour d’appel a en effet considéré que l’ordonnance de référé du 11 mars 2008 aurait eu un effet non seulement interruptif de forclusion, mais également interversif du délai qui a été à son tour interrompu par l’assignation en référé expertise.

Qu’est-ce que cela signifie ?

Tel est le raisonnement de la juridiction de second degré. A tort.

En effet, depuis la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, cette interversion n’est plus à l’ordre du jour puisque l’article 2231 du Code civil énonce que l’interruption fait courir un nouveau délai de même durée que l’ancien.

C’est ainsi que la cour d’appel a estimé que l’action des époux P était recevable, considérant que non seulement le délai de forclusion d’un an avait été interrompu, certes, mais qu’en outre, le délai de prescription de droit commun de dix ans courait toujours et s’était substitué au délai spécial.

La Cour de cassation casse l’arrêt ainsi rendu sous le visa de l’article 1648 du Code civil.

La position de la Cour de cassation

Le raisonnement de la Haute juridiction est beaucoup plus simple que celui de la cour d’appel. Pour la Cour de cassation, chaque assignation en référé des époux P. a interrompu le délai de forclusion d’un an, délai qui avait initialement commencé à courir à compter de la livraison du bien, soit à compter du 14 décembre 2007.

En effet, la première assignation en référé ayant interrompu le délai de forclusion courant depuis la livraison, un nouveau délai d’un an avait commencé à courir à compter de la première ordonnance rendue en mars 2008.

Ce nouveau délai a lui-même été interrompu par la deuxième assignation en référé expertise, et a de nouveau commencé à courir à compter de la seconde ordonnance de référé expertise de mars 2009, de sorte que le délai des époux P. pour agir en matière de vices ou de défauts de conformité apparents expirait en l’espèce en mars 2010.

Ainsi, en assignant au fond le vendeur en l’état futur d’achèvement en juillet 2011, soit plus d’un an après la seconde ordonnance de référé, la Cour de cassation en a justement déduit que M. et Mme P. étaient irrecevables comme forclos en leur action.

Cet arrêt vient de nouveau répondre à la question de savoir quelle est la prescription qui court après qu’une décision de justice ait arrêté la prescription initiale.

En effet, le nouveau délai pouvait soit résulter d’une éventuelle « interversion des

prescriptions », c’est-à-dire la substitution du délai de prescription de droit commun au délai spécial qui régissait la situation initiale, soit la reprise du délai initial.

Mais la Cour de cassation vient trancher une fois de plus ce point par cet arrêt du 11 juillet 2019 en affirmant que seul le délai spécial – en l’espèce, le délai de forclusion d’un an – s’applique.

Ce récent arrêt fait écho à d’autres arrêts antérieurs dont un rendu par la 3e chambre civile du 3 juin 2015, dans lequel la Cour de cassation, là aussi, a rappelé que :

« […] la suspension de la prescription prévue par l’article 2239 du Code civil n’est pas applicable au délai de forclusion ; qu’ayant relevé que l’assignation en référé du 6 décembre 2008 avait interrompu le délai de forclusion et qu’un expert avait été désigné par une ordonnance du 7 avril 2009 et exactement retenu que l’acquéreur ne pouvait pas invoquer la responsabilité contractuelle de droit commun du vendeur d’immeuble à construire qui ne peut être tenu à garantie des vices apparents au-delà des limites résultant des dispositions d’ordre public des articles 1642-1 et 1648 du Code civil, la cour d’appel en a déduit à bon droit que Mme X… était forclose quand elle a assigné au fond la SCI le 10 décembre 2010 ». Cass. Civ. 3e, 3 juin 2015, n° 14-15.796, FS-P+B+I

En principe, les délais de forclusion ne sont pas susceptibles d’interruption et de suspension (article 2220 du Code civil), sauf pour quelques exceptions édictées aux articles 2241 et 2244 du Code civil, qui prévoient respectivement que :

« La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion ». (article 2241 alinéa 1 Code civil)

Et que :

« Le délai de prescription ou le délai de forclusion est également interrompu par une mesure conservatoire prise en application du Code des procédures civiles d’exécution ou un acte d’exécution forcée. » (article 224 du Code civil)

Ainsi, en matière de référés, et quel que soit le nombre d’actions en justice, la saisine de la juridiction interrompt bien le délai de forclusion, mais n’entraîne aucun effet interversif de prescription.

Conclusion

Par cet arrêt, la Cour de cassation ne vient que confirmer une jurisprudence bien établie depuis plusieurs années et vient rappeler plusieurs points.

Elle confirme qu’en matière de Vefa les acquéreurs qui souhaitent engager la responsabilité du vendeur sur les vices et non-conformités apparents doivent agir dans l’année qui suit la date à laquelle le vendeur est déchargé de ces vices, c’est-à-dire à compter de la livraison du bien.

Toutefois, et comme c’est très souvent le cas, il est nécessaire de solliciter au préalable et avant toute assignation au fond la désignation d’un expert, pour faire constater les vices et non-conformités et, ainsi, faire évaluer l’ampleur des dommages et des éventuels travaux de réparation.

Que les justiciables se rassurent : en matière de Vefa, l’action en référé interrompt le délai de forclusion d’un an prévu à l’article 1648 du Code civil.

Ils peuvent donc demander la désignation d’un expert sans craindre de voir expirer le délai pour agir en responsabilité à l’encontre de leur vendeur.

En conclusion, toute demande en justice, même en matière de référés, interrompt, certes, la prescription mais aussi et surtout le délai de forclusion.

La Cour de cassation nous met toutefois en garde sur la computation de ce délai très court, qui repart « à zéro » à compter de chaque fin d’instance en référé, matérialisée le plus souvent par une décision de justice.

Cass. 3e Civ. du 11 juillet 2019, n° 18-17.856, n° 649 – FS-P.

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